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Jim Harrison / Pierre Laplace - Crossed interview - 1997

Quelques mots sur les circonstances de cet entretien avec Jim Harrison (auteur de Dalva, Wolf, Julip, Faux-Soleil, La Route Du Retour, ...). C'était en mai 97 lors du festival des Etonnants Voyageurs de St Malo, consacré cette année là aux écrivains d'Amérique du Nord. �a faisait un bout de temps qu'un nouveau magazine, Melting Pop, voulait nous faire faire une interview croisée avec un artiste que nous devions choisir et tenter de rencontrer. A St Malo, j'ai croisé J. Harrison par hasard et, étant fan du bonhomme, je lui ai proposé une interview. Il a immédiatement accepté et m'a fixé rendez-vous une heure plus tard. Voilà comment, après une courte séance photo, nous nous sommes retrouvés dans un café (le "Cap A l'Ouest", nom adéquat) à discuter pendant une petite demi-heure, tandis que la sono diffusait notre 1er album. Evidemment, en si peu de temps, ça a plus pris le tour d'une conversation informelle que d'un entretien en profondeur. Néanmoins, les fans du grand Jim (ils sont nombreux ) devraient y trouver leur compte, d'autant que l'interview est restée inédite, le journal Melting Pop ayant déposé le bilan dans les semaines qui suivirent.


Jim Harrison : A cause d'un accident survenu quand j'étais jeune, je ne vois que d'un oeil. C'est pour ça que je marche toujours avec cette canne, et que les gens me disent "Jim, fais attention à la marche". Mais quand je suis dans la forêt, je n'ai pas besoin de canne. Mes sens me guident... Avec mon oeil valide, je n'arrive à voir que la lune et les femmes (rires).

Pierre Laplace : C'est l'essentiel, non ?

JH : Il y a aussi la nourriture ! (rires). J'aime bien voir ce que je mange.

PL : Il est évident que pour toi les sens, la perception physique, sont primordiaux.

JH : Je crois qu'à ce niveau là, nous sommes tous des primates (rires).
On fonctionne avec nos sens de manière très directe. Quand je me balade en forêt ou en bord de mer, l'odeur est très importante.
(Dans le café, on entend Betty, le morceau qui ouvre l'album de Vera Clouzot)
Cette jeune fille là, c'est Betty ?


PL : Non, c'est l'amie de François, le garçon qui nous prend en photos.

JH : Félicitations jeune homme ! (rires)

PL : François est aussi un peintre très doué. Il travaille d'ailleurs depuis quelque temps sur un portrait de toi.

JH : Un portrait de moi ? Pourtant, je ne suis pas séduisant !

PL : La question est de savoir ce que ça veut dire, être séduisant.

JH : Et bien, par exemple, je trouve Juliette Binoche séduisante.

PL : Tu vois, ce morceau, Betty, parle d'une amie qui vit très loin de moi, que je ne vois presque jamais. J'aime bien, par l'écriture, essayer de faire revivre les gens qui sont loins ou que j'ai perdus...
Dis moi, quelle sorte de musique écoutes tu ?

JH : Du classique, des vieux chanteurs de blues, de country.

PL : Townes Van Zandt par exemple ?

JH : Oui, c'était quelqu'un de très talentueux. Il est mort il y a peu de temps.

PL : Il a écrit des morceaux excellents. J'adore The Snake Song. Et Leonard Cohen ?

JH : C'est quelqu'un de bien. Il m'a envoyé des choses qui n'ont jamais été publiées. C'est un très bon musicien et, pour ce qui est des textes, c'est l'un des plus forts. Ses textes peuvent se lire comme de la poésie.

PL : Absolument, ils sont cohérents et font sens en dehors du support de la musique, ce qui est assez rare. Ce que j'aime dans ses textes, c'est cette honnêteté dans les sentiments, cette crudité. En même temps, il y a aussi, comme tu le disais, de la poésie et, à mon sens, un certain romantisme exempt de mièvrerie. J'aime cet équilibre. J'essaye, à mon petit niveau, de tendre vers ça.

JH : Il faut que les textes romantiques soient éclaboussés de sang ! (rires). Un type comme Hank Williams a écrit de très bons textes, parfois assez durs... Comment se fait-il qu'un jeune français comme toi s'intéresse tant à la musique américaine ?

PL : J'ai grandi avec les Beatles en fond sonore, puis j'ai écouté pas mal de groupes britanniques, ce qui m'a fait apprécier la langue anglaise. Et puis il y a quelques années, j'ai découvert des gens comme Tim Buckley, Leonard Cohen ou plus récemment, Townes Van Zandt et Bob Dylan. J'aime l'intensité de leurs textes et de leur musique.

JH : Pour moi, la musique n'est pas une affaire de culture de nationalité ou de langue, c'est un truc qui s'adresse directement au coeur.

PL : Absolument. Je trouve que la musique est une des formes d'expression les plus pures qui soient; tu peux faire passer une émotion forte en quelques minutes. C'est vrai que ça transcende les histoires de langue et de culture; c'est universel.

JH : C'est exactement ça.

PL : Dans le groupe, on aime aussi le jazz instrumental, John Coltrane ou Miles Davis. Tu entends ce morceau ? (la sono diffuse Red Angels) Il y a juste une guitare et une trompette.

JH : J'aime ce son. Si je me se sens proche des vieux jazzmen, ou de types comme B.B. King ou Muddy Waters, c'est aussi parce qu'ils ont souvent eu des débuts dans l'existence assez difficiles, comme moi. La musique, c'est un truc qui est tout le temps là, en nous, qui traîne dans un coin de la tête. Quand j'étais jeune, je bossais dans une ferme et, intérieurement, je me jouais les oeuvres de Stravinski en durée réelle. Petrouchka, entre autres. Ca me donnait une certaine notion du temps, et ça m'aidait à passer les heures.
Dis moi, tu connais le Brésil ?


PL : Je n'y suis jamais allé.

JH : Il y a là bas des musiciens extraordinaires, des types qui jouent de la guitare acoustique de manière presque surhumaine, tu as l'impression qu'ils sont nés avec leur instrument dans les mains.

PL : Tu aimes la bossa nova ?

JH : Oui, c'est une musique sophistiquée, très belle.

PL : J'aime beaucoup Antonio Carlos Jobim. C'est un grand compositeur. Il a écrit de très belles oeuvres instrumentales et vocales. Nous allons d'ailleurs faire une reprise d'un de ses morceaux, Desafinado, dont il existe une très bonne version chantée par Ella Fitzgerald. C'est un texte tout simple, mais une belle mélodie.

JH : Tu sais, j'ai rencontré Jobim quelque temps avant sa mort. Au cours de notre conversation, il m'a demandé : "Jim, préfères-tu les jeunes filles à la cocaïne ?" Je lui ai dit : "Je ne sais pas trop". Il m'a répondu : "Moi non plus !" (rires). Il y a aussi quelqu'un que j'adore, c'est Cesaria Evora, la chanteuse du Cap-Vert. Sa musique me donne la chair de poule. Tu connais ?

PL : Juste de nom. J'essaierai d'écouter ce qu'elle fait.
(on entend l'intro au violoncelle de My Autumn Song)
Tu aimes le violoncelle ?

JH : Beaucoup, oui.

PL : C'est un instrument magnifique, dont les fréquences se rapprochent de celles d'une voix humaine, c'est un peu comme une belle voix profonde.

Je n'avais jamais pensé à ça sous cet angle, c'est vrai que ça explique cette résonance, cette puissance de l'instrument. C'est un truc que tu ressens là (il se frappe le bas-ventre).

PL : Dans ce que tu écris, on te sent très concerné par l'histoire, le sort des indiens d'Amérique. Hier, lors d'un débat, tu parlais du poids de l'histoire dans l'Ouest américain, dont la terre est souillée par le sang indien.

JH : Bien sûr, c'est extrêmement important pour moi. J'ai beaucoup d'amis indiens. J'aime les noms qu'ils portent, il y en a de très beaux et de très drôles. La vie dans les réserves est souvent dure, beaucoup d'indiens meurent jeunes. Les nouvelles générations sont déchirées entre le passé et le présent, entre le monde de leurs arrières grandparents et la civilisation moderne.

PL : Tu as lu le bouquin de Dee Brown, Bury My Heart At Wounded Knee ?

JH : Oui, je l'ai lu.

PL : Pendant la séance photo, tu disais qu'il n'existe pas de photo de Crazy Horse. Dans ce livre, on trouve par contre un pictographe, dessiné par un de ses amis indiens, du meurtre de Crazy Horse par des soldats américains, à Fort Robinson. C'est intéressant de voir la manière dont les indiens représentent les scènes importantes de leur vie à l'aide de ces pictographes.

JH : Concernant le meurtre de Crazy Horse, l'histoire officielle a longtemps été floue.

PL : Des livres comme celui de Dee Brown expriment le point de vue des indiens, et rétablissent certaines vérités historiques.
T'es-tu déjà posé la question de savoir pourquoi tu écrivais ?
Est-ce une nécessité absolue pour toi ?

JH : Pour moi, l'écriture a été dès le départ un appel très fort, auquel je ne pouvais pas résister. A partir du moment où tu es lancé là dedans, tu ne peux plus t'arrêter, tu n'as pas le choix, il faut continuer coûte que coûte. Il ne faut pas résister à cet appel. Mais comme il est dit dans la Bible, il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus ! En tout cas, les artistes qui cessent de créer deviennent fous, c'est vraiment de ça dont il s'agit, une question d'équilibre mental.
Et toi, qu'est-ce qui va t'arriver, je veux dire en tant qu'artiste ?


PL : Et bien je continuerai à écrire des textes de chansons même s'il n'y a personne pour les lire ou les écouter. Et nous continuerons à faire de la musique.

JH : C'est bien, il ne faut jamais arrêter.
J'ai une dernière question à te poser : tes parents t'aiment-ils toujours ?


PL : Parce que je joue dans un groupe ? (rires) Oui, j'ai de la chance.
Tu sais, ma mère écrit des nouvelles, juste pour elle, et elle peint. Alors elle sait ce que ça signifie d'essayer de créer quelque chose.

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