Vera Clouzot - Interviews -
MagicBox - 2002
VERA CLOUZOT LES CINQ DIABOLIQUES
Respecté à l'étranger et présent sur un Tribute to American Music Club et plus récemment sur une compilation du label espagnol Acuarela, Vera Clouzot ne joue en France que les figurants de luxe. Que ces cinq-là soient à nouveau autoproduit, essayant avec difficulté de trouver un label, tient du pur et simple
scandale. Groupe essentiel de la scène française, toujours prêt à se mettre en danger, à expérimenter des voies nouvelles, Vera Clouzot devrait être une des fiertés musicales de notre pays.. Malgré l'adversité, les 5 lillois persistent et signent avec " De guerre lasse ", un quatrième album plus que jamais inspiré. Parler de Vera Clouzot tient donc de la démarche militante et cette entrevue, en forme de passage de relais (Nicolas Fahy, violoncelle, passant le témoin à Pierre Laplace, chant) s'enrichit d'un enjeu particulier. No pasaran�
Pour débuter cette interview, je voudrais d'abord parler de vos origines, à savoir Lille. J'ai l'impression qu'il y a là beaucoup de groupes�Nicolas Fahy : C'est vrai qu'il y a beaucoup de groupes, c'est une scène très active. Par contre, ce n'est pas forcément des groupes lillois qui cartonnent au niveau national. C'est même très rare, le dernier en date, c'était Natacha Tertone, qui n'est pas en plus une grosse référence comme Noir Désir. Par contre, il y a un vivier impressionnant sur Lille. Des groupes qui bougent et on espère, que la dedans, certains pourront cartonner. Y compris Vera Clouzot (rires) . On ne désespère pas, peut -être un jour. En fait, on est de plus en plus dans ce milieu lillois. Nous avons été longtemps en marge. Pas par choix mais il n'était pas dans nos habitudes d'aller vers les gens ; ce qui était une erreur. Mais de plus en plus, il y a des collaborations.
Pour essayer de mieux vous cerner, je voulais évoquer des compilations que vous avez faîtes. La première c'est " les belles promesses ".Oui c'était sur XIII bis. Mais elle faisait suite au premier album. Sur la compil', il y a avait des titres live, " Betty " et " Same as yesterday ". Quoi dire de plus, rien�
Sinon, il y a eu un Tribute to Mark Eitzel. Je crois que c'est Pierre qui est fan de Mark Eitzel ?Oui, c'est ça. Moi, ce n'est pas forcément la musique que j'écoute. Mais c'était très intéressant car on a complètement transformé un morceau, " Pale skin girl ", qui ne ressemble presque plus à l'original. Ce qui est sympathique, c'est qu'on a reçu un mail de Mark Eitzel qui nous disait qu'il était très content de cette reprise.
Des références à la base ?Oh il doit y avoir un fond classique, car j'en ai fait pendant des années. Mais c'est loin de moi. J'écoute beaucoup de jazz, ce qui n'a pas grand-chose à voir avec le musique que l'on fait. Même si notre batteur est jazzman.
Et Jobim ? Car il y a un Tribute to Jobim, ce qui est étonnant�Oui effectivement et ce qui est encore plus étonnant c'est qu'à l'époque_ et ce n'est pas si éloigné _presque aucun de nous ne connaissait. Bon, il y avait bien " the girl from Ipanema ", mais à part ça, on ne connaissait pas. Cela ne ressemble pas du tout à notre musique par contre, c'est une musique que l'on apprécie.
Je voulais aussi dégagé un moment clef de votre carrière. La première partie de Jeff Buckley ?Pierre Laplace : oui quand même car cela a pas mal compté dans l'histoire du groupe. C'était inattendu et puis , on était fans. Son concert, d'ailleurs a été une des plus belle chose que l'on ait vu. C'était magnifique et très intense. C'était une belle rencontre, car on a pas mal parlé avec lui et ses musiciens. On les a revus un mois plus tard à l'Olympia. C'est vraiment des grands souvenirs.
Pour vous connaître depuis des années, j'ai l'impression que vous évoluez dans la continuité. On va prendre quelques exemples. Sur " Kachina ", l'album précédent, an niveau du chant vous êtes passés de l'anglais au français.Je crois que cela s'est fait assez naturellement. On était dans une période où beaucoup de groupes sont passés au français. Cela faisait un bout de temps où les gens autour de moi m 'en parlait, les musiciens , les ingénieurs du son�Cela paraissait intéressant au moins que j'essaye pour voir. On a commencé à bosser deux, trois morceaux comme ça et finalement, cela a bien pris. On a donc décider de chanter en français exclusivement.
Tu te sentais désormais plus à l'aise pour chanter en français ? Ou as-tu pensé que cela vous garantirait plus de passages radio ?Non, c'était pas vraiment l'idée. On cherche toujours une manière d'évoluer d'un album à l'autre. Là , c'était une évolution intéressante car elle nous obligeait à redéfinir les bases musicales, à travailler dans un esprit différent. Il y a toujours une évolution d'album en album, qui s'est faîte par l'apport de nouveaux musiciens. Ou par une recherche d'un son différent pour chaque disque.
Un jour, penses-tu rechanter en anglais ou c'est un changement définitif ?Oui. Ou sinon, pour faire des reprises par exemple. Ou sinon, pour moi, en solo, je travaille en anglais. Mais dans le cadre du groupe, c'est acquis : maintenant, je chante en français. On a envie d'avoir un univers cohérent et je me vois mal sur un album passer d'une langue à l'autre.
Tu en a parlé, de nouveaux musiciens sont venus compléter Vera Clouzot. Comme Peter Orins sur " Kachina "�Oui Peter , qui à la base vient du Jazz mais qui est ouvert sur d'autres styles musicaux. Il a un jeu très fin et il s'est rapidement intégré au groupe.
La volonté de prendre quelqu'un issu du jazz, c'était pour étoffer les ambiances ?Oui pour ajouter en dynamique, en atmosphère� Au début, il faisait plutôt partie des musiciens invités et petit à petit, il est devenu un membre permanent. Donc pendant une période, on a été à quatre et très logiquement, on a voulu compléter la section rythmique. On a donc pensé à un vieil ami que l'on côtoie depuis longtemps et qui est bassiste (Ndlr : François Borne). Maintenant, nous sommes cinq.
Il vous aura donc fallu six ans pour être au complet ?On a commencé sur des bases très acoustiques, à trois. Ce qui est bien aussi et très formateur. Maintenant, c'est sûr, nous sommes plus un vrai groupe.
Sur " L'étoffe " dans le nouvel album, qui est la voix féminine ?C'est Laetitia Chérif , une musicienne qui fait beaucoup parler d'elle dans le nord de la France. Elle est en train de bosser sur un album. Je pense que l'on va entendre parler d'elle .
Il y a souvent ce genre de collaboration sur vos disques�Sur chaque album, il y a des musiciens invités différents. Même si parfois, ce sont les mêmes que l'on retrouve , comme le trompettiste, Monsieur Far. On aime bien avoir l'occasion de faire de nouvelles rencontres musicales. Là , il y a eu Laetitia, il y a eu Dominique Vasseur, quelqu'un qui fait de la musique contemporaine et ethnique, qui est venu jouer des flûtes, de la clarinette. Il y a eu aussi un ami qui joue sous le nom de Jan Stého, qui a fait la production sur un morceau, qui a joué de l'orgue, qui a rajouté des samples�
Sur " De guerre lasse ", il y a justement des morceaux assez étonnants. Comme le début de " Chien fantôme ", qui a une intro presque free jazz.Oui, ça c'est l'influence de Peter. Il a eu l'idée de faire improviser des cuivres. Donc, on a réuni une section cuivre, on leur a donné quelques directions et ils ont improvisé. Puis Peter a fait un montage en récupérant une partie de ça, en rajoutant des sons, des craquements. Cela donne une intro assez expérimentale.
Et dans la même veine, " Ersatz " se termine dans la sérénité avec flûte, tabla..Oui, l'idée était de faire basculer la morceau très épuré, très acoustique vers une fin presque électro. Le tabla est samplé, mis en boucle, trafiqué avec des flûtes. Puis tout disparaît et on finit dans une électronique presque ambiant.
Penses-tu que ce sera une évolution prochaine du groupe ?Disons que récemment, il y a eu un petit apport au niveau du sampler que l'on utilise sur scène. C'est aussi un moyen d'étoffer les morceaux en atmosphère, en climat étrange.
Cet album s'appelle " de guerre lasse ". Comme je sais que tu es fan de littérature, est-ce une référence à Sagan ?Oh, je n'y avais pas du tout pensé. Je crois que c'est partie d'une plaisanterie en voiture. Après un concert, quelqu'un avait lâché " de guerre lasse " car c'était marrant, ça fait un peu loser sur les bords. Allez, on tente le tout pour le tout, on fait un dernier truc et de guerre lasse, on verra bien. Après on laisse tomber�C'est un délire un peu comme ça. En réfléchissant, j'ai trouvé que c'était un bon titre de morceau et d'album.
Je reviens sur la littérature. J'ai vu sur votre site une interview de Jim Harrison. Est-ce que la littérature t'inspire pour tes textes ?Oui peut être mais de manière détournée. Sur l'album précédent par exemple, il y avait " la Valse de Chinaski " qui parlait de Bukowski. Mais c'était plus une chanson sur l'effet que peut produire la lecture Bukowski trois jours d'affilée, dans quel état cela peut mettre de lire ses tranches de vie un peu brutes.
Aujourd'hui quelle est votre situation ? Vous êtes à nouveau autoproduit ?Notre histoire est un peu compliqué. Le premier album est sorti sur un label XIII Bis records, le deuxième était autoproduit. Le troisième était sur un autre label, Spirit of Jungle dont on est en train de se séparer. Là , on a terminé " De guerre lasse " et on cherche une maison de disques. Et c'est toujours la croix et la bannière. Tout recommencer, le démarchage, la promo, etc. Ce qui va nous aider, c'est que maintenant, on a un manager parisien, Yvan Taïeb, programmateur à la Scène. C'est important d'avoir quelqu'un d'extérieur car nous ne sommes pas doués pour vendre notre musique.
Quand je pense à vous, me vient à l'esprit deux choses, Vera Clouzot = groupe culte et Vera Clouzot = groupe maudit. Tu es d'accord avec ça ?Il y a peut-être quelque chose. Une certaine poisse, c'est sur mais aussi le sentiment d'être indestructible : après tout ce que qu'on a connu, on aurait pu jeter l'éponge, de guerre lasse, comme s'est dit dans le morceau�On a vu beaucoup de groupes dans le Nord Pas-de-Calais au bout d'un moment laisser tomber. Nous, on est très soudés, on s'entend très bien et on doit avoir foi en ce qu'on fait. C'est vrai que l'on n'a pas beaucoup de succès mais tout n'est pas joué. Il faut laisser le temps au temps. Tout s'affine d'années en années, des choses se précisent dans la manière de travailler, de composer. C'est aussi bien de laisser un groupe mûrir.
Autour de vous, il y a des fans ultra activistes comme Laurent Orseau et Eloïse Stéclebout qui a monté hinah.com. Tu peux nous en dire plus ?C'est vrai qu'Eloïse et Laurent sont des activistes avec leur label (ndr : hinah). Ils sont en contact avec beaucoup de groupes country, néo-folk américains. Ce sont vraiment des passionnés. Eloïse est une de nos plus vieilles fans, elle suit le groupe depuis les premières démos. C'est pour cela qu'ils voulaient nous associer à leur projet. Nous sommes ainsi leur première référence. Cela leur faisait vraiment plaisir de sortir un live de nous. Et par leur biais et parce qu'ils nous ont mis en contact avec Willard Grant Conspiracy , on s'est retrouvés sur la compilation du label Acuarela.
Avec Calexico, Mark Eitzel, Paula Frazer, Nacho Vegas !!!C'est sûr, ça fait super plaisir !
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