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Vera Clouzot - Articles - Le Nouveau Quotidien - 1997

L'histoire démarre presque à la manière d'un
feuilleton : à l'automne 92, Pierre Laplace, un jeune professeur d'anglais est envoyé par l'administration faire ses gammes dans le nord de la France. Dans un le lycée lillois où il  enseigne, Laplace prend petit-à-petit l'habitude, entre deux classes, de discuter musique avec l'un de ses élèves, Richard Huyghe. Tous deux ont en commun une passion pour la musique anglo-saxonne en général et celle de Leonard Cohen en particulier. Au fil de ces conversations passionnées, les deux garçons, qui bricolent chacun dans leur coin quelques harmonies de fortune sur leur six cordes, décident de monter un groupe afin de découvrir à leur tour ce grand frisson qui parcourut un jour l'échine de tous ces auteurs vénérés. Ils sont rapidement rejoints par Nicolas Fahy, un ami de Richard, qui contrairement aux deux autres, est déjà un musicien accompli, capable de tirer de son violoncelle plus d'une mélopée envoûtante. Les débuts sont laborieux, mais bientôt, la formation va trouver ses sonorités propres, nées d'une union peu commune entre les guitares fragiles et un violoncelle capable d'exprimer une gamme infinie d'états d'âme. Après quelques démos diffusées, dont l'une échouera entre les mains de l'animateur de radio Bernard Lenoir (L'Inrockuptible), le groupe qui s'est baptisé Vera Clouzot ("pas tant par esprit cinéphile que parce qu'il fallait un nom et que celui de l'actrice des Diaboliques sonnait bien"), commence à se produire sur plusieurs scènes entre Lille et Londres, une ville où Pierre Laplace, suite à un séjour de plus d'une année, conserve quelques entrées.

En juin 1995, soit un peu plus de deux ans après les premières répétitions, le coeur de Vera Clouzot va s'emballer : après avoir entendu une cassette démo, Jeff Buckley en personne choisit les trois musiciens lillois pour assurer la première partie au théâtre municipal de Tourcoing. Vera Clouzot décide alors de travailler en vue d'un album qui sera enregistré, grâce à une souscription, sur vingt-cinq jours entre décembre 95 et mai 96.

A l'automne 96, le premier album éponyme paraît enfin, fort de quatorze compositions originales d'une maturité sidérante que l'on rangera avec un fébrile empressement aux côtés de celles dont nous ont fait don cette année Bill Callahan, Idaho ou Mark Eitzel. Dès Betty, le titre d'ouverture, on est emporté par ces harmonies élégantes, fruits d'un brûlant dialogue guitares-violoncelle, qui s'emparent de l'âme avec retenue et émotion, en refusant tout lyrisme entendu. Cinquante minutes durant, Vera Clouzot décide qu'ici sobriété ne signifie en rien rigidité. Enrichies ça et là par l'apport de choeurs, d'une trompette, de percussions ou de cordes discrètes, ces compositions, d'apparence caressante, dissimulent en fait une nette propension à l'envoûtement. Voyage en apesanteur entre l'Amérique et la vieille Europe sous la conduite d'une voix remarquable d'élégance, l'album conduit l'auditeur aux frontières d'un folk aux humeurs sombres ou d'un jazz nocturne et charnel (Red Angels), dévorés par un romantisme enivrant (My Autumn Song). Inattendu, déjà inoubliable.

Jean-Philippe Bernard

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